Billet d'insoumis : Éloge de la colère
La colère assumée n’est pas honteuse. Elle n’est pas à confondre avec l’impulsion irréfléchie. Certes, elle n’est pas l’apanage de celui qui jouit de privilèges, de celui qui tire profit d’un état de fait dans un apparent Etat de droit. Elle doit même être réprimée dans l’éducation « patricienne », en faire montre ce serait s’abaisser vers le peuple ou pire, la plèbe. L’être qui possède n’a plus à désirer posséder (quoiqu’il désire toujours plus), l’être qui sait n’a plus à désirer savoir (ce qui est pourtant le sens de « philosopher »), nulle colère chez lui. Il doit se présenter pareil à l’éternité et perfection divine dans un état de sérénité qui incarne le vrai, le bien, le beau et par conséquent ne saurait être empreint de colère.
La colère est alors la marque de la faiblesse, ce ne sont pas les forts qui se révoltent, la colère est le privilège du faible. Pourtant, le faible n’a pas choisi sa faiblesse, sa misère économique, sociale, culturelle, linguistique. Mais le fort lui non plus n’a pas choisi d’être fort, même s’il aime s’attribuer le mérite pour mieux accuser celui qui ne l’est pas. Le mérite ne se mesure pas aux compétences acquises, comme si les riches méritaient leur richesse et les pauvres leur pauvreté. Cela ne conduirait qu’à légitimer un état de fait, à confondre le réel et le juste, ce qui est et ce qui doit être. Les inégalités seraient légitimes, certains investiraient leur liberté pour s’accomplir et d’autres dans leur passivité ne s’accompliraient pas. Il ne resterait alors à ces derniers qu’à recevoir tête basse les accusations et à accepter leur infériorité. Toute révolte ou colère ne serait que le lot d’assistés qui veulent jouir comme d’autres de bénéfices sans s’en donner la peine : injustice !
Il y a là mystification, le mérite doit plutôt mesurer la distance entre le point de départ et le point d’arrivée. On a tous en principe les mêmes droits mais dans les faits les moyens concrets et matériels de les rendre réels ne sont pas égaux. Il y a donc légitimité à être en colère contre une fausse justice qui considère que chacun a ce qui lui est dû. D’ailleurs, si on se risquait à demander aux privilégiés, qui ne sont pas en colère et s’accommodent de leur réalité, quelle serait leur conception de la justice sans considération empirique de leur situation, en faisant abstraction de leur situation de fait, en prenant en compte qu’ils auraient pu naître dans des conditions plus défavorables, il ne fait guère de doute qu’ils défendraient avant tout l’égalité des chances. Eux aussi seraient en colère face à la situation s’ils pensaient au-delà de leurs intérêts particuliers. La colère est donc l’expression de l’universel aujourd’hui contre quelques intérêts privilégiés. C’est pourquoi elle n’est pas non plus haineuse, égoïste, mais joyeuse car elle sait qu’elle a la force de la vérité universelle.
C.A.
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