Lettre ouverte à Emmanuel Macron en réaction à ses propos sur Philippe Pétain
La lettre ouverte suivante a été écrite par Jean-Claude Englebert, premier Échevin de la commune de Forest (Bruxelles) à l'attention d'Emmanuel Macron, en réaction aux déclarations du Président de la République française justifiant les célébrations incluant Philippe Pétain, dans le cadre des commémoration du centenaire de la Grande Guerre. Cette lettre a été également transmise par courrier au quotidien belge Le Soir et au quotidien français Le Monde.
Jean-Claude Englebert participe au groupe de La France Insoumise - Bruxelles.
Bruxelles, le 7 novembre 2018
À l’attention de Monsieur Emmanuel Macron,
Président de la République Française
Monsieur le Président,
Je vous écris de Belgique. Je me flatte de prétendre aimer plus la France que bon nombre de vos compatriotes. Il y a beaucoup de raisons à cela, la moindre n’étant pas votre si belle devise, « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ces raisons se croisent avec des attaches personnelles fortes avec certain.e.s de vos compatriotes.
J’ai été élevé par une orpheline de guerre, une femme dont la mère est morte en déportation au camp de concentration de Ravensbrück, pour faits de résistance au nazisme. Les circonstances ont fait de cette filiation un traumatisme, auquel je tente de donner un sens au travers de mon engagement politique de longue date.
Hier, j’ai entendu un exposé sur la notion du pardon. J’en suis ressorti conforté dans l’idée que la possibilité du pardon est constitutive de notre possibilité d’humanité.
Cet exposé m’a également questionné non pas quant à la spécificité des crimes du nazisme et de la collaboration mais bien quant à l’impossibilité de leur pardon, donc questionné quant au traumatisme personnel que j’évoquais.
J’en suis arrivé à l’idée que cette impossibilité provient d’une forme primale de négationnisme dans le chef des coupables, une manière de minimiser les faits ou de minimiser la responsabilité dans les faits. Ce qui fait qu’Hannah Arendt élabore le concept de « banalité du mal », c’est que la manière dont Adolf Eichmann décrit son rôle dans la « solution finale » fait de son crime ce que les juristes appellent un « délit continu ». En théorisant leur rôle sous le thème « des ordres » ou « d’atténuer les malheurs du peuple français », ces criminels, déclarés comme tels, re-commettent perpétuellement leurs crimes. Sans le formuler ainsi, ils nous disent « si c’était à refaire, je le referais ». J’ai compris hier soir en entendant ce magnifique exposé sur le pardon que ce qui unit toutes celles et tous ceux qui ont eu un rôle dans cette entreprise de crime industrialisé, c’est d’avoir théorisé le négationnisme avant qu’il ne soit inventé.
J’ai appris aussi que le pardon ne pouvait s’accorder qu’entre personnes vivantes. Aujourd’hui, tous les criminels de la collaboration et du nazisme, ou peu s’en faut, sont morts. Il n’est donc plus possible à leurs victimes directes, dont les orphelin.e.s, comme ma mère, de considérer la question du pardon. La responsabilité en incombe en totalité à ces criminels, parmi lesquels Philippe Pétain.
Je vous écris en ce jour où vous avez parlé des actes de Philippe Pétain en termes « d’erreurs funestes ».
Monsieur le Président, la vérité juridique et historique établie par la République Française est qu’il s’agissait de crimes, et que ces crimes ont été marqués d’une condamnation à la peine capitale (heureusement commuée) mais aussi d’indignité nationale.
Monsieur le Président, j’ai cinquante ans et le traumatisme sur lequel j’ouvrais ma lettre date de plus de quarante-cinq ans. Quotidiennement ou presque, je m’interroge sur la mesure de ce traumatisme, sur son caractère excessif. Par vos paroles, vous tendez cependant à me convaincre qu’il n’en est rien, que cette blessure maternelle (comme il y a une langue maternelle) a une réelle existence et vous avez ruiné tout espoir de soin.
Ce 11 novembre, en l’absence de mon Bourgmestre (Maire), en tant que 1er échevin (1er adjoint au Maire) de ma Commune de Forest, je commémorerai le centenaire de la fin de la première guerre mondiale. J’ai choisi comme thème, in tempore non suspecto, mais est-ce parfois vraiment non suspecto ?, « Qu’avons-nous appris du 11 novembre 1918 ? ». Je veux en particulier tenter de penser cet événement centenaire qui, s’il n’est pas pensé, sombrera immanquablement dans un oubli indigne.
Par votre déclaration, vous accentuez la pertinence de ma question, et en renouvelez la pertinence, vous en donnez un exemple.
J’en suis consterné et atterré.
Soyez néanmoins assuré, Monsieur le Président de la République, de mes sentiments respectueux.
1er échevin, Commune de Forest, Belgique
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